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VIGILOR SECURITÉ

GUINÉE/MÉDIAS : DANS L’IMPASSE, LA PRESSE PRIVÉE DOIT RÉGLER LES DISSENSIONS INTERNES POUR SORTIR DU BOURBIER

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A l’instar des autres pays de la planète, la Guinée a célébré vendredi 3 Mai 2024 la journée mondiale de la liberté de la presse. Contrairement à l’année précédente-en 2023 la journée a été célébrée sous le signe de l’unité de la presse et le siège de la HAC avait servi de cadre pour la mobilisation, l’évènement s’est déroulé sur fond de crise entre médias et pouvoir et de division entre associations professionnelles et syndicat de presse. Et cette fois, c’est la Maison de la presse qui a servi de cadre pour la célébration. 

Consacrée par l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme dans les années ‘’90’’, la journée mondiale de la liberté de la presse est célébrée le 3 Mai de chaque année. Elle est régulièrement mise à profit pour « sensibiliser » l’opinion publique sur « l’importance de la liberté de la presse » mais également « rappeler aux gouvernements leur obligation de respecter et faire respecter le droit de la liberté d’expression. »

Trois décennies se sont écoulées depuis cette déclaration. Ce qui correspond aussi à l’âge de la presse privée guinéenne. Celle-ci ayant vu le jour en 1992, à la faveur du multipartisme intégral déclaré 2 ans plutôt.

De cette période historique à nos jours, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. La presse privée a connu trop de péripéties. Toutefois, jamais elle n’a cédé aux pressions ou chantages des pouvoirs publics, encore moins aux sirènes divisionnistes. Face aux abus, elle a toujours affiché la lucidité et la solidarité en son sein. Les pionniers, au prix de leur liberté n’ont jamais courbé l’échine. Au contraire, ils ont fait preuve de caractère et de résilience. Pour hisser haut le flambeau de la liberté.

C’est grâce à leur perspicacité et leur persévérance qu’on a connu la création de la presse écrite en 1992, la libéralisation des ondes en 2005 et plus tard la reconnaissance de la presse électronique. Sans oublier la dépénalisation des délits de presse suite à la promulgation de la « loi organique L/2010/02/CNT du 22 juin 2010 portant liberté de la presse en Guinée. »

Mais aujourd’hui, tout porte à croire que nous sommes au bord de l’abime. Ces acquis chèrement obtenus sont désormais menacés. Le métier de journaliste n’a jamais été aussi en danger que maintenant. La profession bat de l’aile, traverse le plus mauvais moment de son histoire.

Ses ennuis ont commencé au mois d’août 2023. Quand l’Etat a arbitrairement décidé de restreindre l’accès à certains médias (guineematin.com, inquisiteur.net…) et aux réseaux sociaux. Les difficultés se sont accentuées plus tard à travers le brouillage des ondes et le retrait des bouquets canal plus et Startimes de plusieurs autres médias : à savoir, les groupes Djoma, Hadafo médias, Evasion, Sabari, Fréquence Médias etc. Ce séisme d’une magnitude jamais enregistrée dans la sphère médiatique guinéenne a provoqué une onde de choc au sein de la corporation en mettant des centaines d’employés au chômage. Malgré les cris de cœur de plusieurs voix, la descente aux enfers des médias a continué et continue encore.

Le rubicond sera même franchi les 18 et 19 janvier 2024. Lorsque la marche pacifique projetée par le SPPG (syndicat des professionnels de la presse de Guinée) pour dénoncer les actes liberticides contre les médias est étouffée. Neuf (9) journalistes furent arbitrairement interpellés. Concomitamment le siège de la Maison de la presse fut prise d’assaut par des bidasses armés jusqu’aux dents. La zone bouclée et une trentaine de journalistes et d’acteurs sociaux furent séquestrés et privés de nourriture toute une journée.

Ces exactions se poursuivirent à travers l’interpellation du secrétaire général du SPPG. Le camarade Sékou Jamal Pendessa et trois de ses compagnons furent brutalement arrêtés en pleine circulation, puis conduits manu militari à la Brigade de Recherche de Kipé où ils sont entendus sur PV. Le SG y passa trois jours de garde à vue avant d’être présenté à un procureur le 22 janvier 2024. Après son audition, il est mis sous mandat de dépôt et conduit sans ménagement à la maison centrale de Coronthie. Où il resta plus d’un mois, 40 jours, en détention illégale, dans des conditions dégradantes et inhumaines. Il recouvrit la liberté après une parodie de justice, grâce à la pression du Mouvement Syndical Guinéen (MSG). Celui-ci ayant mis sa machine en branle, en déclenchant, le 26 février, une grève générale illimitée pour exiger sa libération immédiate et inconditionnelle.

Pendant ce temps, plusieurs autres journalistes étaient conduits au pilori par la HAC. L’organe de régulation qui dit agir au nom de la « sécurité nationale », s’est montrée insensible et impitoyable contre les hommes de médias. En infligeant de lourdes sanctions aux journalistes, parfois pour des infractions non établies. Même s’il faut aussi reconnaitre quelques errements de la part de certains d’entre eux.   

Mais le comble de tout ça, c’est que malgré ces abus à l’endroit des médias, la presse privée guinéenne est restée divisée. Durant tout ce temps, elle n’a jamais affiché une image d’unité et de solidarité. La tension est restée plutôt vive entre les associations professionnelles des médias et le syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG). Les deux camps n’ayant jamais voulu accorder leurs violons pour faire face aux difficultés qui assaillent la corporation. Rabougris dans leur carcan d’égo, ils se sont engagés dans un combat stérile. En faisant la même chose qu’ils ont toujours reproché aux politiques ou acteurs sociaux : les querelles intestines, les débats de caniveaux ou stériles, la désunion, les coups bas etc.

J’ai sincèrement cru une seconde que cette journée du 3 Mai était une opportunité en or pour passer sous silence les dissensions au sein de la corporation. J’ai bêtement cru qu’on allait se retrouver ce jour pour communier. C’est-à-dire parler des péripéties, des acquis et perspectives de la presse privée. Qu’on allait taire nos différends, s’assoir sous l’arbre à palabre et se projeter vers l’avenir.

In fine, j’étais vraiment très persuadé que tout pouvait et allait rentrer dans l’ordre ce jour. Mais ma déception sera grande, lorsque j’ai constaté que la tension entre associations professionnelles et syndicat de presse était plus vive que je ne l’imaginais. Le 3 Mai, chaque camp a préféré créer son propre évènement. Et nulle part dans les déclarations, il n’a été questions d’unité, de solidarité, de convivialité, de fraternité. Chacun est allé de ses humeurs.

Même la présence ce jour du ministre de l’information et de la communication aux côtés de la presse n’a rien changé. Au contraire, le déplacement de Fana Soumah a la maison de la presse a plutôt permis aux observateurs que nous étions de comprendre la profondeur de la crise qui sévit au sein de la corporation. Principalement entre associations professionnelles et syndicat de presse.

C’est dommage ! C’est vraiment dommage que la presse privée guinéenne présente une telle image ! L’image d’une presse en lambeau ! Une presse fragile, immature et égocentrique. Surtout une presse divisée, désunie et désordonnée incapable de s’entendre sur l’essentiel.

Sinon, cette journée était censée être célébrée sous le signe de la « solidarité et de l’adhérence. » Afin de préserver les acquis chèrement obtenus par les anciens et poursuivre l’érection d’un édifice dont ils ont bâti la fondation. Elle devrait être mise à profit pour rendre hommage aux anciens, célébrer les sommités et encourager ceux qui se distinguent aujourd’hui par le professionnalisme de leur travail. Ceci en octroyant des « Prix » qui les honorent. Pour une fois encore, nous avons raté le coche, loupé le pari de la communion.

Je pense qu’il est temps de mettre un « holà » à cette inimitié entre patrons et employés qui stigmatise la corporation et déshonore la presse privée guinéenne.

Trente ans, c’est certes petit dans la vie d’une organisation professionnelle comme la nôtre mais c’est très suffisant pour être mature et nous permettre de prendre les bonnes décisions qui protègent l’intérêt général des médias. Aujourd’hui dans l’impasse, la presse privée devrait s’atteler à régler les dissensions internes pour sortir du bourbier.

Samory Keita pour kibanyiguinee.info       

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