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CNRD, « un régime de terreur et d’oppression » : Ibrahima Diallo dénonce les dérives autoritaires de la junte guinéenne (interview intégrale)

Ibrahima Diallo, Responsable des opérations du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), a récemment pris la parole sur France 24 pour dénoncer la situation sociopolitique alarmante en Guinée. Actuellement en exil en France, cet activiste de la société civile a abordé des sujets cruciaux : la suspension des partis politiques, le calendrier électoral incertain, le musèlement de la presse, ainsi que les enlèvements et disparitions forcées d’opposants. Son témoignage met en lumière une répression systématique et un climat de peur généralisé

France24 : La junte avait annoncé une reprise complète et effective des activités politiques cette année, mais elle a suspendu pour trois mois une trentaine de partis politiques, y compris celui d’Alpha Condé. Selon vous, est-ce réellement une démarche d’assainissement du paysage politique, comme elle le prétend ?

Ibrahima Diallo : Pas du tout. Il s’agit clairement d’un renforcement du pouvoir autoritaire de la junte. Ce qui, au départ, était perçu comme un processus normal et légitime pour un retour à l’ordre constitutionnel, s’est progressivement transformé en une confiscation totale du pouvoir. Aujourd’hui, en Guinée, la majorité des citoyens opposés à la junte vivent dans un climat de peur et d’oppression. Les médias sont muselés, les citoyens ne peuvent plus s’exprimer librement sous peine d’emprisonnement ou de disparition forcée. Par ailleurs, les partis politiques sont soit dissous, soit empêchés de mener leurs activités sur le terrain, renforçant ainsi l’étau autoritaire qui pèse sur le pays.

F24 : Les trois mois annoncés par la junte, vous y croyez ou pas ?

ID : Non, je n’y crois pas. Le président de la transition avait pourtant affirmé dans son adresse à la nation que les activités politiques étaient désormais libres sur l’ensemble du territoire national. Cependant, la réalité est tout autre : les manifestations restent systématiquement interdites lorsqu’il s’agit du FNDC, de l’opposition ou de citoyens opposés à la junte au pouvoir. Pendant ce temps, les partisans de la junte défilent librement dans les rues de Conakry et à l’intérieur du pays, encadrés par les forces de l’ordre, notamment la police et la gendarmerie, pour promouvoir la candidature de Mamadou Doumbouya. Cette situation illustre une flagrante inégalité dans l’exercice des droits politiques.

F24 : Cela signifie que l’opposition ne peut pas faire campagne, alors que la junte mobilise ses partisans ?

ID : Exactement. L’opposition et le FNDC sont totalement empêchés de mener une quelconque campagne en Guinée. Depuis mai 2022, les manifestations sont strictement interdites pour toute personne ou organisation opposée à la junte au pouvoir. Toute tentative de mobilisation se solde tragiquement par des morts, des blessés, et parfois l’arrestation de citoyens. Malheureusement, nous comptons aujourd’hui parmi les victimes deux de nos camarades.

F24 : Pourquoi le parti de Cellou Dalein Diallo, un opposant historique, semble épargné par cette suspension ?

ID : Non, je pense que tous les partis politiques sont concernés. L’UFDG a simplement obtenu un délai de 45 jours pour soi-disant se mettre en règle et organiser son congrès. Cependant, l’objectif réel semble être de diviser pour mieux régner : fragmenter les principaux partis politiques, suspendre certains, dissoudre d’autres, et accorder temporairement une marge de manœuvre à quelques-uns, uniquement pour les éliminer par la suite. Tout cela s’inscrit dans une stratégie visant à atteindre un objectif final clair : consolider le contrôle absolu de la junte.

F24 : Pour vous, ça ne fait aucun doute que cela vise à favoriser la candidature du général Doumbouya, malgré ses promesses de ne pas se présenter ?

ID : À la lumière des événements actuels en Guinée, que ce soit à Conakry ou dans les régions intérieures, il ne fait aucun doute que Mamadou Doumbouya envisage une candidature, malgré ses engagements initiaux. Il avait solennellement prêté serment et affirmé devant le monde entier qu’il ne se présenterait pas, tout comme aucun membre du CNRD. Cependant, la réalité que nous observons aujourd’hui est tout autre : chaque jour, des campagnes de propagande, financées par la junte, sont orchestrées pour promouvoir sa candidature, contredisant ainsi ses déclarations passées.

F24 : Pour asseoir son autorité et envisager une candidature, des élections sont nécessaires. Le Premier ministre a annoncé que 2025 serait une année électorale, incluant un référendum constitutionnel, des présidentielles et des législatives. Cependant, avant cela, il faut organiser un recensement électoral et établir un code électoral. Ce processus est-il actuellement en cours en Guinée ?

ID : En réalité, aucune date précise n’a été fixée pour la tenue des élections en Guinée. Bien qu’un processus visant à établir un fichier électoral ait été lancé, celui-ci a été suspendu il y a un mois. La raison ? Les agents recenseurs, en contact direct avec la population, n’ont pas reçu leurs primes et ont cessé leurs activités. Cette suspension compromet sérieusement l’organisation d’élections cette année, rendant improbable un retour à l’ordre constitutionnel dans les délais annoncés.

Le Président de la Transition avait pourtant promis l’organisation d’un référendum au premier trimestre de cette année. Or, nous sommes déjà en mars, et il n’existe toujours ni fichier électoral ni constitution. Sans ces éléments essentiels, il est difficilement envisageable de parler d’élections ou de retour à l’ordre constitutionnel.

F24 : Donc un calendrier en 2025, vous n’y croyez pas ?

ID : Je ne crois absolument pas. C’est une fuite en avant pour juste apaiser l’opinion internationale afin de consolider davantage leur pouvoir.

F24 : Ibrahima Diallo, vous avez évoqué les enlèvements et les arrestations ciblant militants, journalistes et opposants. Parmi eux, Foniké Menguè et Billo Bah, deux figures de la société civile, ont été enlevés il y a huit mois. A-t-on eu des nouvelles depuis ?

ID : Toujours aucune nouvelle. Ces camarades, avec qui j’ai partagé les sept dernières années de lutte quotidienne, ont été enlevés par la junte. Leur seul « tort » ? S’opposer à la confiscation du pouvoir et appeler à une manifestation contre la fermeture des médias et pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Ce soir-là, ils ont été arrêtés, et depuis, ils sont détenus par la junte, sans aucune information sur leur sort.

Parmi eux, Marouane, un journaliste lanceur d’alerte, a également été enlevé par les gendarmes. Il est victime de disparition forcée, tout comme d’autres opposants. Aujourd’hui, en Guinée, s’opposer à la junte expose à quatre risques majeurs : d’abord, la prison, comme c’est le cas pour Aliou Bah et d’autres leaders politiques actuellement incarcérés. Ensuite, la disparition forcée, dont nos camarades et des journalistes sont les preuves vivantes. Troisièmement, la mort : des citoyens désarmés, manifestant pacifiquement pour leurs droits, sont abattus par des militaires déployés avec des armes létales. Enfin, l’exil reste une issue pour ceux qui parviennent à échapper à cette répression.

Ces citoyens, qui ne demandent que le respect de leurs droits et le retour à un processus constitutionnel, sont confrontés à une répression brutale. Malheureusement, cette situation tragique persiste, plongeant le pays dans une crise humanitaire et politique sans précédent.

F24 : Craignez-vous des représailles à votre encontre ?

ID : Bien entendu ! La menace plane sur tout le monde en Guinée, en particulier sur ceux qui s’opposent à la junte. Il est impossible de s’exprimer ou de critiquer sans risquer de graves représailles. Nos cadres, membres et militants sont activement recherchés. Certains sont arrêtés, d’autres disparaissent sans laisser de trace. Ceux qui ont un peu plus de « chance » finissent en prison. La situation actuelle est véritablement catastrophique et plonge le pays dans une atmosphère de peur et d’oppression.

F24 : Vous faites appel à la justice internationale ?

ID : La justice guinéenne est malheureusement incapable de gérer cette situation. Toutefois, il est important de souligner que la disparition forcée est reconnue en droit international comme un crime contre l’humanité. C’est pourquoi nous avons encouragé les familles des victimes à porter plainte devant les juridictions internationales. Peu importe le temps que cela prendra, la justice finira par triompher. Ce crime étant imprescriptible, qu’il s’agisse de dix, vingt ou trente ans, les coupables devront répondre de leurs actes et justice sera rendue.

Interview vidéo réalisée par France24, transcrite par kibanyiguinee.info