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Sanction contre Guirassy : la HAC en flagrant délit d’excès de pouvoir ?

Conakry, le 11 juin 2025 – C’est un collège réduit de sept commissaires sur les treize membres que compte la Haute Autorité de la Communication (HAC) qui a pris une décision pour le moins radicale : interdire au journaliste Lamine Guirassy, PDG du groupe HADAFO Médias, d’exercer le métier de journaliste en République de Guinée, et ce, jusqu’à nouvel ordre. Motif invoqué : la diffusion de « fausses nouvelles ».

Une mesure brutale et largement incomprise par l’opinion publique, qui y voit un acharnement politique contre un professionnel respecté, devenu une figure emblématique du paysage médiatique guinéen. Pour beaucoup, cette décision ne repose sur aucun fondement solide, si ce n’est une volonté manifeste de neutraliser une voix influente. L’adage populaire semble parfaitement illustrer la situation : « Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage. »

Un tweet à l’origine de la tourmente

À l’origine de cette interdiction : un message publié le 11 juin 2025 sur le compte X (anciennement Twitter) de Lamine Guirassy, dans lequel il aurait alerté ses abonnés d’un prétendu séisme :

« Alerte séisme à Conakry : un tremblement de terre de magnitude 7 vient de frapper la zone de Petit Simbaya à Conakry à l’instant T. »

En réaction, l’autorité de régulation des médias a choisi la voie la plus extrême : l’interdiction pure et simple d’exercer, sans précision de durée. Une décision qui soulève de vives critiques, notamment de la part de la conseillère nationale Asmaou Diallo, représentante de la presse privée au CNT, qui dénonce un traitement arbitraire et une instrumentalisation de la HAC à des fins non dites.

« Si la HAC affirme se fonder sur l’article 106 de la loi sur la liberté de la presse, plusieurs interrogations s’imposent : a-t-elle formellement établi que Lamine Guirassy est bien l’auteur du tweet ? A-t-elle envisagé un possible piratage du compte ? Et quand bien même il serait l’auteur, parle-t-on s’agit-elle d’une première erreur ou d’une récidive ? » s’interroge-t-elle, appelant à un traitement basé sur la jurisprudence plutôt que l’émotion ou des non-dits.

Une procédure bancale et juridiquement contestable

Sur le terrain juridique, les critiques sont tout aussi sévères. Kalil Camara, juriste guinéen, pointe une violation manifeste des principes fondamentaux du droit, à commencer par le droit à la défense. Selon lui, la HAC n’a jamais convoqué ni auditionné le journaliste concerné, un manquement grave dans toute procédure équitable.

D’après lui, nulle part dans sa décision, la HAC ne mentionne avoir cherché à entendre Lamine Guirassy. Il affirme alors que ce silence est en soi une irrégularité majeure, étant donné qu’en droit, on ne peut sanctionner sans avoir entendu la personne concernée. Cela rend la procédure juridiquement viciée, indique-t-il.

La HAC est-elle compétente pour juger du contenu diffusé sur les réseaux sociaux ?

Mais au-delà de la forme, c’est la légitimité même de l’intervention de la HAC qui est remise en cause. En effet, la décision de la Haute Autorité de la Communication repose sur les lois L/002 sur la liberté de la presse et L/003 sur la HAC. Or, aucune de ces lois n’accorde à cette institution la compétence sur les publications personnelles des journalistes sur les réseaux sociaux.

En d’autres termes, si l’on s’en tient strictement à la loi, la HAC n’a pas juridiction sur les plateformes comme X (Twitter), Facebook ou Instagram, surtout lorsque les contenus ne sont pas diffusés via un média autorisé, mais via des comptes personnels.

Ainsi, pour trancher, le juriste Kalil Camara souligne, que même si les faits reprochés à Lamine Guirassy peuvent relever des articles 35 de la loi 037 relative à la cybersécurité et 98 et 106 de la loi L/002 sur la liberté de la presse, seule une juridiction judiciaire est compétente pour juger d’une telle affaire.

Comme on le constante, l’interdiction faite à Lamine Guirassy d’exercer son métier soulève de sérieux doutes sur la légalité et la légitimité de l’action de la HAC. Entre violation de la procédure, doute sur la compétence de l’organe et disproportion manifeste de la sanction, l’affaire relance un débat crucial : la régulation médiatique peut-elle s’affranchir du droit ? Une chose est certaine : ce précédent pourrait peser lourdement sur la liberté de la presse en Guinée.

Sidafa Keita pour kibanyiguinee.info