C’est désormais un secret de polichinelle, qu’entre le CNRD (Comité national du rassemblement pour le développement) et la presse privée guinéenne ce n’est pas le parfait amour. Les nouvelles autorités du pays semblent avoir du mépris vis-à-vis des médias privés nationaux et étrangers à telle enseigne que ces derniers ont actuellement du mal à faire leur boulot sur le terrain. Les traitements dégradants que subissent les journalistes lors des évènements du CNRD en font foi. Le sort dévalorisant qui leur a été réservé pendant les concertations nationales, la prestation du serment du président, l’installation du premier ministre sont quelques-uns des clichés noirs sortis du labo de la junte militaire au pouvoir.
Concertations nationales
Les premiers signaux lanceurs d’alerte sont apparus à la faveur des concertations nationales qui se sont officiellement déroulées du 14 au 23 septembre 2021, au palais du peuple, durant lesquelles, les journalistes de la presse privée ont été ignorés. Excepté, RTG, le média d’Etat, qui a suivi de bout en bout, aucun autre média n’avait accès. Il leur a fallu donc faire le pied de grue et se contenter des ‘’fragments’’ livrés par quelques leaders issus des entités reçues pour de pouvoir glaner quelque chose. Ce fut la première exclusion.
La fameuse rencontre CNRD-presse nationale
Elle a failli ne pas avoir lieue car au début, une rencontre avec la presse ne semblait pas être à l’ordre du jour. Il suffisait de voir la première liste des entités sociales conviées aux concertations nationales pour s’en apercevoir. Il a failli donc que la presse sorte de son silence pour finalement être conviée et écoutée. Malgré, le jour ‘’J’’, le 20 septembre 2021, les journalistes ont été reçus avec dédain. « Eteignez vos téléphones. Sinon des agents vont sillonner la salle pour contrôler, tout téléphone allumé sera confisqué », dira le modérateur dans un langage qui frise le désamour.
Cette maladresse mettra le chef de la junte mal à l’aise. Pour rectifier le tir, il marmonne quelques mots dans l’oreille de colonel Aminata Diallo assise à sa droite. Celle-ci prend la parole pour recadrer les choses et tenter de rassurer la presse. Mais le mal était déjà là. Les journalistes mal en point, encaissent le coup.
CNT : la presse repêchée ?
Là également, comme on peut s’en apercevoir, on a voulu l’écarter, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Seulement 2 sièges pour la presse sur les 81 du futur CNT. A voir même la place (avant dernière) qu’elle occupe sur la liste des organisations devant appartenir à cet organe consultatif, l’on se rend compte qu’elle ne compte pas beaucoup pour la junte. Au-delà d’être sous représentée, tout porte à croire que la presse a été repêchée. En tout cas, en 2010, avec au moins 4 places, elle était beaucoup mieux représentée.
Prestation de serment du président
Le 1er octobre 2021, le nouvel homme fort du pays a prête serment au palais Mohamed V. Déjà la veille, à l’instar d’autres personnalités, les journalistes avaient été officiellement invités à travers un communiqué lu sur les antennes de la télévision nationale. Curieusement, le jour de la cérémonie, ils n’étaient pas les bienvenus. Ils seront tournés en bourrique par un soit disant service de communication de l’actuelle présidence et subiront les mêmes tracas que lors des précédents évènements.
Installation du nouveau PM
C’était le même film lors de l’installation du nouveau premier ministre Mohamed Béavogui, le 8 octobre 2021. Les journalistes ont vécu les mêmes humiliations qu’auparavant. Comme des malpropres, ils ont été vidés de la cour de la primature avant d’y avoir accès plus tard, après de moult négociations. Et pour une énième fois, seul le média de l’Etat avait accès à la salle. Il n’en fallait pas plus pour provoquer l’ire des journalistes qui n’ont pas manqué d’exprimer leur indignation sur la toile.
« C’est du 2 poids 2 mesures », dénoncera un premier journaliste sur la toile. Un second ajoutera, « le pire dans leur (ndr, les nouvelles autorités) politique d’exclusion là, (ce que) même la presse internationale est décrétée ‘’persona non gratta’’ dans la couverture médiatique de leurs activités. C’est dommage ».
Un troisième apparemment interloqué s’interroge : « Mais pourquoi le CNRD du colonel Mamady Doumbouya se méfie-t-il de la presse privée ? Quel est le pêché d’Israël causé par la presse privée ? ».
Suite à ces nombreuses plaintes, le syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG), s’est fait entendre le week-end dernier. Dans une déclaration, il « condamne » et « rassure » les journalistes de sa détermination à « défendre leur droit et la liberté de la presse ». Du côté des associations de presse, il n’y a eu aucune réaction pour l’instant. Les patrons ont préféré se murer dans un mutisme total.
Pis, au moment où la presse s’interroge encore sur son devenir dans cette transition, un acte surréaliste se produit, pour la première fois dans l’histoire de la presse en Guinée, qui marquera à jamais la corporation. C’est la descente musclée des forces de l’ordre suivie de fusillade au siège d’un média de la place sis à la haute banlieue de Conakry. Il s’agit de Djoma Média qui a reçu la visite de militaires armés jusqu’aux dents, dans la nuit du lundi 10 octobre 2021. Il y aura des échanges de tire, pendant une bonne partie de la nuit, entre les envahisseurs et les agents postés sur place, chargés de sécuriser le lieu. Heureusement qu’en fin de compte, il y a plus de peur que de mal.
Comme on s’aperçoit, si la prise du pouvoir par le CNRD, le 5 septembre 2021, suscite toujours de l’espoir auprès des citoyens vu les actes jusque-là posés par son leader, le colonel Mamady Doumbouya, du côté des médias privés, la flamme de cet espoir commence d’ores et déjà à s’amoindrir au fur et à mesure qu’on s’enfonce dans la transition.
Or, il y a encore quelques jours, le président de la junte tenait des promesses à l’endroit de la presse. Lors de la rencontre entre le CNRD et la corporation, au palais du peuple, le colonel Mamady Doumbouya a promis « l’autonomie financière » des médias et « l’indépendance de la presse » en Guinée.
Mais à cette allure, tout porte à croire que le ciel est encore nuageux. Et que si l’on ne prend garde, la liberté de presse qui a été acquise après d’âpres luttes, est plus que jamais menacée.
Raison pour laquelle, il ne serait pas dupe aujourd’hui de se poser cette question : le CNRD est-il un ennemi ou un ami de la presse ? L’avenir nous édifiera.
Samory Keita pour kibanyiguinee.info
Tél: 622 20 95 90
Les commentaires sont fermés.