JUSTICE : FACE A DE GRAVES ACCUSATIONS DE CORRUPTION, LE BARREAU DE GUINEE SORT DE SA TANIERE POUR SE DEFENDRE
C’est un barreau à la fois colérique et meurtris mais également troublé par peur de perdre sa crédibilité auprès de l’opinion publique, suite aux accusations de « corruption, de faux en écriture » et d’autres « pratiques douteuses » qu’un groupe de candidats malheureux aux différents examens du CAPA (Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat), allant de 2016 à 2021, par média interposé, porte en son encontre, qui a convié la presse ce jeudi 24 août, à Conakry, pour nier tout en bloc en qualifiant ces accusations d’« allégations mensongères et d’intoxication » visant à jeter de l’opprobre sur la profession d’avocat et son institution.
Incriminé par un article de presse intitulé : « scandale au barreau de Guinée : pratiques douteuses, corruption, faux en écriture mis en lumière par le rapport d’inspection de 2022 », le barreau de Guinée ne dormirait plus tranquille sous ses lauriers. L’institution estime que c’est un article mercenaire qui vise à souiller et piétiner la dignité des avocats guinéens.
Les contestations ont commencé depuis le 1er CAPA de 2009 mais elles se sont surtout accentuées avec les CAPA de 2016-2018 et 2021. Visant ainsi les bâtonniers d’alors, en l’occurrence Me Mohamed Traoré et Me Djibril Kouyaté.
Néanmoins, se sentant tous concernés par cette incrimination qu’ils qualifient d’ailleurs de « diffamatoire », tous les membres du conseil de l’ordre des avocats, anciens patrons du barreau et l’actuel bâtonnier, étaient présents à cette conférence de presse pour tenter de démonter les accusations portées à leur encontre. Habitués à défendre des clients, les avocats devraient cette fois ci s’auto-défendre. Ainsi, face à un parterre de journaliste, ils tenteront le tout pour le tout pour convaincre l’auditoire.
« Ternir l’image, l’honneur, la considération, la dignité et la probité des anciens bâtonniers Mohamed Traoré et Djibril Kouyaté qui ont tout donné à notre barreau en lui rendant de loyaux services, qui n’ont jamais failli à leur devoir d’avocats et de bâtonnier, ce qui leur a valu chacun d’être réélus pour un second mandat, il est donc inacceptable que quelqu’un de peu voire non informé jette du discrédit sur le barreau de Guinée…pour servir une cause inavouée», dira d’entrée le porte-parole Me Yaya Gabriel Kamano, avant d’indiquer que la conférence est organisée pour « apporter des précisions, des démentis sur ces allégations…mensongères.»
Dans la même foulée, l’actuel bâtonnier qui estime qu’il s’agit d’une « intoxication », prendra la parole pour dire qu’il est « impérieux de rétablir la vérité » pour éclairer l’opinion. Me Mamadou Souaré Diop rappellera alors que « l’organisation du CAPA » revient au barreau mais aussi qu’elle « est régie par la loi 014, portant réorganisation de la profession d’avocat ». Son décret, rappelle-t-il, a été pris un « 2008» par le feu général Lansana Conté. Et que depuis le 1er CAPA, organisé en 2009, le jury qui a toujours été « légalement constitué » est celui qui « proclame les résultats » issus de l’examen. Il est composé des juristes issus de « l’ordre des avocats, de magistrats et de professeurs d’université. » Il précisera qu’ « un jury est un organe administratif à caractère juridictionnel qui rend des décisions absolument indépendantes de l’organe qui l’a désigné ». Donc pour lui, « l’ordre des avocats n’est pas responsable d’une quelconque revendication qu’un candidat pourrait porter contre les résultats publiés par le jury. »
Directement indexé par l’article pour avoir réclamé de l’argent aux candidats lors des CAPA de 2016 et 2018, alors qu’il était bâtonnier, Me Mohamed Traoré sans nier les faits donne les raisons.
« Il est vrai que l’organisation matérielle revient exclusivement au barreau, mais le même décret qui confère des attributions au barreau confère à l’Etat l’obligation de financer l’organisation matérielle de l’examen du CAPA qui se fait sous forme de concours qui doit avoir lieu chaque année. Malheureusement, depuis la publication du décret en 2008, aucun gouvernement n’a apporté un franc au barreau pour organiser cet examen. Pendant ce temps, nos universités publiques et privées déversent des milliers de diplômés sur le marché de l’emploi. Donc, le barreau s’est dit pour remédier à cette carence de l’Etat, de trouver les voies et moyens pour organiser le concours du CAPA…C’est ainsi, qu’en 2009, on a commencé à organiser le CAPA », explique-t-il, avant de révéler : « Mais face à l’absence de moyens, il est arrivé une année qu’un groupe de candidats finance l’organisation de l’examen. Ce groupe a estimé certainement pour avoir organisé l’examen, il avait des droits acquis. Malheureusement, beaucoup de membres de ce groupe avaient échoué. » Pour ensuite renchérir : « alors quand il y a eu changement (ndlr, en 2016) à la tête du barreau, nous nous sommes dits, au lieu de laisser un groupe de candidats organiser l’examen, ce (qui) n’est pas normal, il faut que l’examen soit financé, sous forme de droit d’inscription, et on a fixé ce droit là à 500 mille francs par candidat payables au compte bancaire de l’ordre… »
Une démarche que l’ancien bâtonnier estime tout à fait normale. Pour étayer sa démarche, il prendra l’exemple sur le CAPA de la Côte d’Ivoire, où, bien que le barreau soit subventionné, le droit d’inscription pour le CAPA de 2023, a été fixé à 90 mille FCFA. Soit environ 1 million 300 mille francs guinéens. Mieux, en Guinée, ajoute-t-il, « le centre de formation judiciaire a récemment organisé le concours des auditeurs de justice, et ça, il s’agit d’un service de l’Etat qui a un budget et qui est en plus financé par les partenaires techniques et financiers, en dépit de cela, ce centre a exigé à chacun des candidats une somme de 100 mille gnf comme droit d’inscription.»
Donc, pour cet ancien bâtonnier qui officie actuellement comme conseillé au CNT ( Conseil national de la transition), il est injuste qu’on fasse la « guerre » au barreau pour avoir trouvé des « moyens propres…pour pouvoir financer » l’examen du CAPA, alors qu’il n’a jamais eu une subvention de la part de l’Etat depuis sa création en 1986.
Egalement accusé par les candidats contestateurs d’avoir procédé au remplacement d’un membre du jury, pour des raisons douteuses, le bâtonnier de 2021 dont le CAPA aura fait plus de bruit, tentera, à son tour, de justifier son geste. Revenant donc sur les circonstances de cet acte ambigu, puisqu’il n’y a pas de preuve matérielle, Me Djibril Kouyaté confié : « nous avons adressé un courrier à Monsieur le recteur de l’université de Sonfonia…Celui-là même qui a siégé comme membre du jury, avant l’examen de 2021, l’avait été 2 ou 3 fois (par le passé). Donc, c’était un habitué du jury. Nous avons estimé que vu la pression dont-il pouvait faire l’objet (de la part des candidats qui le connaissaient tous), il fallait le changer…Il y a eu une discussion au niveau de l’université, on nous a proposé Michel Jeannette Tolno. Nous avons accusé réception de la lettre et nous avons commencé à prendre en compte sa participation en tant que membre du jury », mais, poursuit-il, « entre temps, le recteur de l’université M.Manga Keita m’a appelé, il m’a dit : ‘’M. le bâtonnier, je me suis rendu compte que nous avons changé de représentant au niveau du jury. D’habitude c’est M. Alseny Camara qui nous représente, cette fois ci, j’ai peut-être signé le courrier, mais entre nous, nous ne voudrions pas que notre représentant soit changé. Donc, ce que je vous demande d’accepter pour moi, c’est de recevoir M.Alseny Camara qui a l’habitude de venir, c’est une doléance…pour qu’il n’y ait pas de problème à l’université’’. Puisque, c’est un Keita, moi je suis Kouyaté, ya le cousinage à plaisanterie entre nous, j’ai dit, y a pas de problème ».
En donnant cette explication, le juriste aura quand-même l’honnêteté de reconnaitre d’avoir pêché dans la mesure où il n’y a aucun acte matériel qui soutient sa version. « Peut-être que je devrais lui demandé un écrit », se souvient-il tardivement. Mais qu’à cela ne tienne, car pour Me Kouyaté le plus important est que « la question a été réglée sans problème… »
Pour appuyer leurs confrères, les Me Zézé Kalivogui et Faya Gabriel Kamano, tous membres du barreau, feront des révélations très stupéfiantes pour répondre aux détracteurs qui pensent que le CAPA est organisé pour un groupe de privilégiés. Notamment les avocats assistants dans les différents cabinets appartenant à certains avocats du barreau.
« On a déclaré que ce sont des concours organisés par un groupe des membres du conseil de l’ordre qui aligne ses hommes. Or parmi les 8 admis, aucun n’est venu d’un cabinet d’avocat du conseil de l’ordre, aucun n’est venu du cabinet d’un seul confrère ayant été membre du jury », révèle Me Zézé, avant de marteler : « je suis membre du conseil de l’ordre, j’ai présenté 2 candidats mais aucun n’a eu, aucun membre du conseil ici n’a un postulant qui a réussi au dernier CAPA.»
« D’ailleurs, la plupart d’entre eux (ndlr, les candidats malheureux) ont voulu que le CAPA soit fermé aux assistants qui sont dans les cabinets, nous avons toujours dit non. La loi a dit d’ouvrir le CAPA à tous les services qui remplissent les conditions. C’est pourquoi parmi les 8 admis, il y a 2 professeurs de l’université général Lansana Conté qui n’ont jamais fait un cabinet… », enchainera Me Kamano, pour corroborer les dires de son collègue. Avant de révéler à son tour, que lui-même avait « 8 assistants y compris 2 » de ses « jeunes frères qui ont échoué » à l’examen du CAPA. Estimant ainsi que la prétention qu’on lègue au barreau d’organiser le CAPA pour « recruter des proches » n’est que de pire discrédit.
Sur les 296 candidats à l’examen du dernier CAPA organisé en 2021, il y a eu seulement 8 admis alors que le besoin exprimé était de 100 places.
Samory Keita pour kibanyiguinee.info
Tél : 622 20 95 90
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