CRISE EN GUINEE: LE GENERAL DOUMBOUYA DOIT SORTIR DE SA « TOUR D’IVOIRE » POUR AFFRONTER LA REALITE, PREVIENT DR FAYA MILLIMONO
La crise actuelle en Guinée n’augure pas de lendemain meilleur pour le pays. Le manque de clarté dans la gestion de la transition, l’absence de dialogue politique, la cherté de vie, le bâillonnement de la presse et de la société civile, font que même les partis politiques pro-CNRD qui avaient très tôt affiché leur admiration pour les militaires, commencent à douter de la bonne foi du Président Mamadi Doumbouya récemment élevé au grade de général. C’est le cas du Bloc Libéral (BL) qui interpelle le chef de la junte sur la crise qui mine actuellement le pays. Dans un entretien à bâton rompu, qui eu lieu ce jeudi, son président Dr Faya Millimono, nous a donné sa part de lecture sur la transition en cours, dont nous vous proposons ici un avant goût. Lisez…
Kibanyiguinee.info : bonjour Dr Faya, quelle lecture faite vous aujourd’hui de la situation sociopolitique du pays ?
Dr. FM : Aujourd’hui, nous traversons un moment caractérisé par beaucoup de doute qui est entrain de gagner du terrain. Il faut dire que la déception était si grande avec le Pr Alpha Condé, que lorsque le CNRD est arrivé avec un message assez musclé, cela a rassuré dans un premier temps. Mais, on constate qu’on est parti d’une grande certitude à un grand doute. Sinon, il faut reconnaitre que le discours qui a été produit, les idées qui ont été mises de l’avant par le CNRD, sont encore aujourd’hui d’excellentes idées. Mais, on se demande qu’est ce qu’on est entrain de faire, il n’y a plus aucune lisibilité. Les gens se demandent où est ce qu’on est entrain d’aller. Vous prenez élément par élément, la Guinée avait besoin d’une Constitution. Nous avons défendu la Constitution de 2010 mais, elle était l’une des plus voraces en termes de coût, que la Guinée ait connu. On a multiplié les institutions et finalement ça nous a coûté aujourd’hui les yeux de la tête. Il faut simplement faire un survole des institutions de la République pour s’en rendre compte. Comme la Cour Constitutionnelle, la Cour des Comptes, la Cour Suprême, l’INDH, le Conseil Economique Social et Environnemental, la Médiation de la République, toutes ces institutions sont dans des édifices privés aujourd’hui qui nous coûtent énormément chers. Alors penser réécrire une Constitution donnait beaucoup d’espoir qu’on ramènerait ces choses à leur juste proportion. Aujourd’hui, on se demande où on en est. Même l’accord avec la CEDEAO qui a été pris à l’insu de la classe politique, il faut le reconnaitre, prévoyait qu’en juin-juillet 2023, qu’on est l’avant projet de Constitution. Nous sommes en février 2024, on ne sait pas ce que le CNT est entrain de faire. C’est quand même écrire une Constitution. On a eu des missions à l’intérieur du pays. Les guinéens sont passés à l’hémicycle, se sont exprimés. Je crois que faire tout cela, en arrivé à un avant projet de Constitution…et le garder par devers soi, alimente davantage le doute.
Autre chose, nous avons été témoins depuis l’arrivé du Pr Alpha Condé des chiffres qu’on a réussi à nous créer, qui n’ont pas pu être des bons prédicateurs de la planification du développement dans notre pays. On a fait du recensement général de la population et de l’habitat en 2014, un exercice politique. Et finalement, ça ne nous a pas permis véritablement de planifier correctement le développement. Il fallait refaire complètement, parce qu’on travaille avec des fausses données. Mais là aussi, ça prend tellement de temps, qu’on se demande si on aura un jour le résultat final.
L’une des choses que je trouvais encore être un élément phare des propositions du CNRD, c’est le RAVEC. Par ce qu’on ne peut pas comprendre, qu’un citoyen qui est né et grandi entre Conakry et Gnongoroya ou Kankan puisse avoir la possibilité de se cloner le nombre de fois qu’il veut. Aujourd’hui, personne ne sait en Guinée, quand est-ce qu’il est né exactement. On ne sait, qui sont morts, qui sont mariés ou pas. Il y a dans la fonction publique des gens qui sont plus jeunes que leur diplôme. Cela grâce à cette possibilité de se cloner. Donc, si on arrive à doter chaque guinéen d’un identifiant unique, c’est un facteur important de régulation de l’économie.
Ailleurs, si vous prenez par exemple les Etats-Unis, le Canada ou même plus près d’ici la Sierra Léone, c’est pratiqué. Vous avez un identifiant unique, qui est l’élément référentiel principal que tu sois allé pour t’inscrire à l’école, à l’hôpital, à l’université, à la banque, partout où tu vas, cet identifiant est unique…
Là aussi, on attend beaucoup de ce RAVEC, on a même rêvé que nous pouvions extraire le fichier électoral du RAVEC. Malheureusement, on n’a même pas encore le coordinateur du RAVEC. Et techniquement, selon l’accord avec la CEDEAO, nous n’avons plus que 10 mois devant nous pour rendre le tablier. C’est ce qui fait que le doute grossit…Ce qui n’est pas une bonne chose.
Je crois que le Président le Général Mamadi Doumbouya, doit reprendre l’initiative. Il doit sortir de cette Tour d’Ivoire pour regarder la réalité en face. Les guinéens souffrent énormément…On a aujourd’hui beaucoup de crises qui sont artificiellement créées. Alors qu’avec un peu plus de pédagogie, on peut arriver à s’entendre.
Un militaire avant lui, a été le père de la liberté d’expression dans ce pays. Le feu général Lansana Conté, qu’on le veut ou non, c’est lui qui a libéralisé les ondes. Les médias dans tous les pays du monde, ça se gère. J’ai vécu aux Etats Unis où on-n’est pas dans une situation de régime mixte. Aux Etats Unis, il n’y a pas de médias de service public, tout est privé. Mais la relation est pourtant bonne. Qu’est-ce qui a vraiment amené le pourrissement de la situation au point que les émissions n’émettent plus ? Il y a des radios qui ne peuvent plus émettre, des télés qu’on ne peut plus voir sur les bouquets canal +. C’est pourquoi, j’invite le président à reprendre l’initiative. Il y a tellement de problèmes ! La nature n’aide pas aussi. Puisqu’il y a l’explosion du dépôt d’hydrocarbure à Conakry qui vient rendre encore la situation plus difficile ! Et on vient de nous faire une augmentation de prix des denrées sur le marché. On comprend qu’il y a des difficultés, mais lorsque l’Etat décide d’intervenir, c’est pour normaliser. Mais lorsque l’Etat décide d’intervenir pour fixer le prix des denrées de première nécessité et faire payer les uns plus cher que les autres, ça ne va plus. Mieux vaut en ce moment que l’Etat n’intervient pas. Car, c’est par ce que l’Etat intervient pour fixer le prix du carburant, que le carburant coûte à 12 mille francs, que ce soit à Boulbinet ou à Gongoroya ou encore à Yomou. Aujourd’hui, on veut qu’un de nos compatriotes qui se trouve à Labé ou à Mamou paie plus cher que celui qui est à Conakry. C’est grave.
Kibanyiguinee.info
Les commentaires sont fermés.