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ÉCHANGEUR DE BAMBETO : LES TRAVAUX BLOQUES SUITE A UN DÉBRAYAGE DES OUVRIERS

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Les travailleurs de l’échangeur de Bambéto ont débrayé ce mardi 18 juin 2024. Très en colère, ils étaient nombreux à se retrouver sur le site pour exprimer leur ras le bol contre leur mauvais traitement. Ils accusent la société contractante SINOHYDRO d’abus de travail et réclament de meilleur traitement (amélioration de salaire, signature de contrat…) avant la reprise du travail.

Tous dénoncent de mauvais traitement de salaire et de manque de contrat que la société refuse de les accorder. Alors que beaucoup parmi eux y travaillent depuis plusieurs mois voire années. Mais aucun n’a un contrat signé. Et le salaire est très dérisoire par rapport à l’ampleur du travail et des risques qu’ils encourent.

Les points de revendication s’articulent autour de trois points. Il s’agit de l’augmentation de salaire, la signature des contrats et la quinzaine.

Rencontrés sur le terrain ce matin, beaucoup ont accepté de s’exprimer pour parler des conditions précaires et lamentables dans lesquelles ils travaillent. Ce sont des témoignages en grande partie pathétiques qui sont livrés par des pauvres ouvriers complètement désespérés, qui sont au bout de la résilience. Ne pouvant plus supporter la souffrance, ils sonnent le glas. « Nous avons atteint la limite de la patience. On est traité comme des animaux ici. On ne peut plus accepter cela», entendait-on fulminer au milieu de la centaine d’ouvriers présents. Parmi eux, des menuisiers, des ferrailleurs, des maçons, des agents de sécurité et des manœuvres. Tous meurtris par la souffrance.

La mort dans l’âme, ils ont dépeint un tableau noirci par une situation sarcastique qu’ils traversent depuis des années. Dans leur explication, on sent la colère qui brise le pharynx pour laisser échapper un souffle chaud, l’expression d’un désenchantement profond.

En décidant de révéler leurs témoignages, nous avons choisi de faire prévaloir notre instinct protecteur. Afin de sauver leur emploi. Raison pour laquelle nous choisissons d’abréger leurs noms pour les éviter d’éventuelles représailles. Surtout que, selon les indiscrétions, beaucoup ont perdu leur emploi dans de telles circonstances. Et le refus de la société pour la mise en place d’un syndicat nous pousse davantage à la prudence.

YC, y travaille depuis 1 an 7 mois. Mais n’a jusque-là pas signé de contrat de travail. Le jeune ouvrier est choqué. Il dit avoir travaillé dans plusieurs sociétés. Mais c’est la première fois qu’il vit une telle situation. « Le pont 8 novembre, les tours jumelles de Kakimbo, le port de Nongo-Kaporo…j’y ai travaillé en tant qu’ouvrier. J’avais toujours mon contrat. Mais ce que je vois ici c’est autre chose. », fulmine-t-il. Il rajoute que les salaires sont dérisoires. Selon lui, il y a trois catégories de salaires. Il y a le salaire des nouvelles recrues qui est de 60 mille par jour de travail, le salaire des moyens anciens qui est de 65 mille le jour et celui des plus anciens qui se situe autour de 75 mille francs par pointage. Et l’augmentation est faite par affinité par le chinois, précise-t-il.

Même son de cloche chez FB qui opère dans ce projet depuis septembre 2022 et est payé à 75 mille franc par jour de travail. Autrement dit, les jours non travaillé ne sont pas pointés et ne sont pas payés.

Il révèle aussi que les ouvriers travaillent plus de 8h par jour. « Le travail commence à 7h et fini à 17h 30 avec une pause de 1h30’ », explique-t-il. Cet ouvrier en veut surtout à l’inspection générale du travail et aux autorités actuelles du pays qui ne font rien pour abréger leur souffrance. Pour lui, l’argent qu’il touche à la fin du mois ne couvre pas ses charges familiales. Rien qu’avec la location et la scolarité des enfants, il ne restera plus rien du salaire.

Comme les deux précédents, LS aussi fait partie des anciens ouvriers. Il travaille au sein de la société depuis 2 ans. Tout en confirmant la situation lamentable dans laquelle vivent les ouvriers, il dénonce le fait que les travailleurs ne soient pas dotés en EPI (Equipement de Protection Individuelle). A l’en croire, les équipements existent et sont stockés dans des conteneurs. Mais le chinois refuse de doter les ouvriers. Ce qui exposent ces derniers à des risques réels et permanents. Plus loin, il affirme que lorsque le chinois veut se séparer d’un ouvrier, « il le chasse comme un animal », et soutient que la loi en vigueur n’est pas respectée dans l’octroi des contrats. Toutefois, il impute la responsabilité de la souffrance des ouvriers « aux guinéens » que nous sommes.

Revenant sur les points de revendication, cet autre ouvrier estime que le « salaire de misérable » qu’on les paie, n’arrange personne. « C’est pourquoi nous demandons qu’on augmente les primes à 100 mille le jour », dira ABS. Il renchérit en ajoutant que « la proposition de 80 mille » de la société ne peut pas « soulager » les travailleurs. Mieux, ajoute-t-il, « il a été demandé aux ouvriers de patienter jusqu’au mois d’août ». Mais pour lui, il n’en est pas question. « Il y a eu trop de fausses promesses », fera-t-il remarquer. « Trop c’est trop. On ne peut plus. Les 100 mille ou rien. », tranchera ABS.

AKC, également a fait plus d’une année sans contrat. « On quitte la maison en disant à nos parents qu’on va au travail, et à la fin du mois ils ne voient rien », regrette cette pauvre âme. Qui quitte loin chaque jour pour rallier son l’échangeur de Bambéto. « Je quitte chaque jour à Coyah pour venir ici et paie 40 mille comme transport alors que je suis payé à 65 mille par jour. Combien va me rester à la fin du mois ? », s’interroge notre interlocuteur estomaqué.

C’est la même rancœur chez AS qui lui dénonce le système de pointage. D’après lui, il arrive qu’on demande à un travailleur de rester plusieurs jours à la maison et durant lesquels il ne sera pas pointé. « Je suis payé à 65 mille le jour, et parfois on me dit de rester à la maison pendant 4 à 5 jours. Quand la fin du mois arrive, dès fois je gagne juste 800 ou 1 million. », indique l’ouvrier les yeux remplis de larmes.

Cette amertume est également perceptible sur le visage de FS qui a été victime d’un accident de travail et abandonné à son propre sort. Lui aussi révèle que si par malheur quelqu’un se blesse, sa chance de survie dans l’entreprise est très minime. « Si tu ne te blesses ici personne ne te regarde », averti-t-il les nouveaux. Ayant été victime, il explique avoir été une fois victime d’accident de travail. « Je suis allé au bureau, les chinois ne m’ont rien donné pour mon traitement. Quand j’ai quitté, ils m’ont pointé pour une demi-journée de travail. J’ai été obligé de faire le traitement à mes propres frais », se souvient-il le cœur saignant de colère.

Interpellé sur le débrayage des ouvriers, Ibrahima Aminata Diallo, chargé des relations communautaires de gestion de conflits de l’échangeur de Bambeto, a voulu apporter quelques précisions.

Au prime à bord, il soulignera qu’il y a plus de 200 travailleurs dont 136 constants. Ces travailleurs sont repartis en 3 catégories. Il y a les ingénieurs qui sont des diplômés qualifiés, les chefs d’équipes qui sont des ouvriers compétents et les manœuvres qui ont appris dans le tas.

Sur les points de revendication, il confie que seuls 2 pourraient être satisfaits par la société. « Pour l’instant, ils (les chinois) ont promis une augmentation à partir du mois de juillet pour ceux qui vont se distinguer par leur compétence, leur engagement et efficacité sur le terrain », annonce-t-il, avant d’ajouter : « pour ce qui est du contrat, ils vont le faire également selon le temps mis : plus de 6 mois »

A ce niveau du salaire, il rappellera qu’au début du projet, les primes variaient entre 45 mille et 70 mille francs par jour. Aujourd’hui, elles varient entre 65 mille et 80 mille, précise-t-il

Par contre, pour ce qui est de la « quinzaine », il indique que le chinois ne compte pas accéder à cette demande.

Pour ce qui est des accusations portées à l’encontre de la société sur faisant état de la non prise en charge des victimes d’accident de travail et la non dotation en EPI, M.Diallo s’« inscrit en faux. »

Selon lui, « en cas d’accident de travail, il y a un agent HSSE qui s’occupe de l’intéressé. Nous avons 2 cliniques : une clinique de traumatologie et une autre non loin d’ici. Donc la prise en charge est faite par la société. L’ouvrier ne paie rien et n’est pas imputé durant tout le temps de convalescence. »

Quant aux EPI, il affirme que la dotation est faite « chaque 6 mois ». Vrais ou faux ? Sur le terrain, tout porte à croire que les ouvriers ne sont pas dotés. Pas de tenue, ni imperméable alors que c’est la période des grandes pluies.

Lancée le 13 avril 2022, la construction de l’échangeur de Bambéto avait une durée de 30 mois et devrait normalement finir au mois d’octobre prochain. Mais avec une rallonge de 6 mois, son inauguration pourrait se faire au mois d’avril 2025. Nous y reviendrons.

Samory Keita pour kibanyiguinee.info

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