GÉNÉRAL MAMADI DOUMBOUYA : AUTOPSIE D’UN DISCOURS CONTROVERSÉ TENU SOUS UNE TRANSITION TRÈS MAL EN POINT
Le 31 décembre 2024, le président de la transition guinéenne, le général Mamadi Doumbouya a, lors de sa traditionnelle adresse à la Nation faite cette fois-ci à l’occasion du nouvel an 2025, comme dans un passé non lointain, tenu des engagements face à ses compatriotes Guinéens sans aucune garantie réelle de tenir parole. Un air du déjà-vu. Autopsie d’un discours controversé tenu sous une transition qui se trouve être très mal en point.
Cette fois, le traditionnel discours commence bien avant 20h30, l’heure habituelle du journal télévisé. Beaucoup de personnes qui ont suivi en direct ont loupé le début du discours. Qui fait près d’une heure de chrono.
Sur le petit écran, on découvre un président avec un nouveau look de coiffure. Il apparait dans une tunique bronzée et brodée, communément appelée « forêt sacrée. » Visage engourdi, il a l’air anxieux, ce qui le rendait un peu méconnaissable aux yeux des Guinéens.
Assis dans leur salon, nombreux étaient ces Guinéens ce jour, qui ont eu du mal à reconnaitre leur président. « C’est Doumbouya ça ? », interroge ma femme, un peu perplexe. « Mais bien sûr, ais-je répondu », calmement mais sans être surpris par sa réaction, parce qu’ayant la même impression. Le lendemain, un ami me confie que sa vielle maman qui aime bien le général a eu du mal à reconnaitre son cher président. Surprenant non !
En prononçant son discours fleuve, on sentait par moment en lui, des difficultés de lecture. Son allocution devenant de plus en plus ennuyante.
Son long discours s’articule sur plusieurs aspects mais dont on ne prendra que quelques points saillants qu’on essayera de décortiquer ensemble. Tenu à une période de crise profonde résultant de la durée interminable de la transition, son discours qui était très attendu a laissé les Guinéens sur leur faim.
Soupçonné d’avoir des ambitions politiques pour se maintenir au pouvoir en briguant la magistrature suprême à la prochaine élection présidentielle, à l’issue de laquelle prendra fin la transition, le général Mamadi Doumbouya ne frôle même pas le sujet. Il reste focus sur les « acquis » de la transition et les « perspectives » visant à dérouler son fameux projet de « refondation » de l’État.
Il entame son discours en saluant brièvement la mémoire des victimes de la tragédie du stade du 3 avril de N’Zérékoré, survenu le 1er décembre 2024. Avant de rapidement tourner la page pour vanter les prouesses réalisées par la diplomatie guinéenne. Qui a permis à la Guinée en peu de temps, d’atteindre « un nombre record de représentations diplomatiques, dépassant 40 pays. » Une aubaine pour le président, de prouver aux Guinéens, la reconnaissance de son pouvoir sur la scène internationale. Un raisonnement qui parait plausible.
Cependant, vu d’un autre angle, on se demande s’il s’agit vraiment d’un résultat reluisant. Surtout lorsqu’on sait que dans de telle situation, le risque de saignée financière pour l’économie nationale est très élevé.
Cela même si l’on veut nous faire croire que tous les indicateurs macroéconomiques sont aujourd’hui au vert. Grâce à une croissance économique exceptionnelle qui serait de l’ordre de 6,1 %, avec une inflation stabilisée à 7% et un taux d’endettement qui titille les 33 % du PIB. Des chiffres très encourageants, mais qui ne devraient pas nous affoler.
Restaurer la confiance avec la triade de l’AES (Alliance des États du Sahel)
En froid avec ses frères de l’AES qui le soupçonnent d’être à la solde de la France, Mamadi Doumbouya se veut rassurant. Le président guinéen cherche à regagner la confiance de la triade. Car ni son homologue du Mali ni celui du Burkina Faso encore moins l’actuel homme fort du Niger ne lui font confiance. A cause de ses accointances avérées avec la France, il est plutôt perçu par ces derniers comme étant une marionnette d’Emanuel Macron. Ils ne cacheraient même plus leur méfiance vis-à-vis de l’ancien légionnaire français dont ils accusent avoir permis l’installation de base militaire française en Guinée, après le démantèlement de celles-ci dans leurs pays respectifs.
Décidé à soigner son image, le président guinéen tente un rapprochement afin d’assurer ses homologues chefs de transition. D’où l’ouverture de cette parenthèse dans son discours pour réaffirmer ouvertement son « soutien indéfectible » au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Reste à savoir, ce que cela va donner en termes de résultat.
Plus loin, sur le plan national, il renouvelle sa détermination à lutter contre la « corruption » mais aussi, il s’engage à favoriser la « justice sociale » pour le bien-être de ses concitoyens. À titre d’exemple, il cite le procès 28 septembre, qui a été récemment clos avec de lourdes peines contre les auteurs.
Le général fait également plusieurs autres annonces, visant à améliorer les conditions de vie des travailleurs de l’État.
Il informe alors que « la couverture maladie des agents de l’État et des retraités est désormais une réalité. » Et promet de procéder à « la valorisation des bourses des étudiants et l’instauration des bourses pour les apprenants ». À cela, s’ajoute l’« augmentation des salaires et l’avancement de 4 échelons en faveur de chaque fonctionnaire » au courant de l’année 2025.
Ces annonces de Doumbouya sont perçues avec beaucoup de recule par certains observateurs avertis qui voient plutôt des promesses faites à dessein, dans le seul but de s’offrir les faveurs du mouvement syndical guinéen et des étudiants qui constituent des forces sociales dont il vaut mieux avoir comme alliées sur le terrain.
En termes de perspectives, il promet de faire du projet « SIMANDOU 2040 » une véritable aubaine qui « incarne notre vision ambitieuse d’une Guinée moderne et prospère. » Et qui n’est qu’une composante d’un « programme de développement socio-économique durable et responsable de la République de Guinée, pour les quinze (15) prochaines années. »
Sur le plan politique, là où il était sérieusement attendu, l’homme du 5 septembre ‘’21’’, n’a fait que renforcer le doute des citoyens sur les velléités de confiscation du pouvoir. Avec un ton peu rassurant, il annonce que « l’année 2025 sera une année électorale cruciale pour parachever le retour à l’ordre constitutionnel. » Il promet de signer dans le premier trimestre de l’année un « décret fixant la date du scrutin pour le référendum constitutionnel après l’élaboration du code électoral. »
Mais avant, il promet de « recueillir l’avis d’un panel d’experts guinéens reconnus et incontestables en matière constitutionnelle. » Qui va revoir « l’Avant-projet de Constitution » et faire des « propositions d’amélioration » avant que le Projet ne soit officiellement transmis par le CNT. Une autre annonce non des moindres qu’il a faite, c’est de rendre effective « la reprise totale des activités politiques dès l’année 2025. »
Perçus comme étant des effets d’annonces par bon nombre de Guinéens, ces engagements formulés par le locataire du Palais Mohamed V ne rassurent guère le bas peuple. « C’est un air du déjà vu », dit-on au sein de la population. Qui n’oublie pas les premiers engagements pris par notre général qui ne semble pas vouloir tenir parole.
Pis, 2025 a commencé avec la répression dans le sang de la première manifestation politique de l’année. Alors que dans son discours, le président annonçait la « reprise totale des activité politique. » Ce qui inclurait forcément l’autorisation des manifestations.
Mais cet acte gravissime qui est en porta faux avec le discours du nouvel an, prouve à suffisance qu’on devrait rester méfiant et agir avec beaucoup de sagesse. Car vouloir prendre pour acquis ces promesses du pouvoir, avant leur réalisation, serait un grand leurre. « Qui trompe une fois, trompera toujours », me disait souvent un oncle.
Parlant de la grande muette, à laquelle il appartient, le président du CNRD promet de poursuivre les réformes déjà en cours afin de créer les conditions nécessaires, indispensables à l’accomplissement de la mission de l’armée.
Sidafa Keita pour kibanyiguinee.info