Arrestation manquée de Bah Oury à Conakry: pourquoi l’opposant guinéen est si craint par le régime Condé ?
S’il y a un leader politique aujourd’hui, beaucoup craint par le régime Condé, c’est bien l’opposant Bah Oury.
Le week-end dernier des bérets rouges ont fait irruption au domicile privé de l’opposant guinéen situé dans la haute banlieue de Conakry. Malheureusement pour eux, la cible était absente. Comme par prémonition, l’opposant avait quitté Conakry la veille pour Dakar où il séjourne actuellement.
Depuis ce rapt raté, les supputations vont bon train dans la cité. Cependant nombreux sont les observateurs qui pensent que cette tentative d’enlèvement de l’opposant est liée à son opposition au fameux projet de 3ème mandat. Et ces sorties fracassantes qui dérangent jusqu’à la présidence de la République.
Sa récente sortie pour tancer le rapport final de la mission conjointe CEDEAO-UA-ONU en prélude à l’élection présidentielle du 18 octobre prochain, en serait une illustration. Connu pour son franc parlé, l’opposant n’a pas manqué de dire à la CEDEAO qu’elle a « ruiné sa crédibilité » en Guinée, à partir du moment où elle a violé sa propre charte et cautionné l’idée d’un 3ème mandat en Guinée.
A cause de ses prises de positions, il est indéniable que M.Bah se fait beaucoup d’ennemis au sein du pouvoir. Mais pourquoi dérange-t-il autant, au risque de troubler le sommeil du pensionnaire de sékoutouréya ?
Pour le comprendre, mettons en exergue quelques faits caractéristiques qui passent souvent inaperçus aux yeux de l’intelligentsia guinéenne.
Le tempérament
A regarder de près, Alpha Condé et Bah Oury ont le même tempérament. Ils sont tous les deux de tempérament chaud et des vas-t-en guerre. C’est dire, même en tant normal, leur cohabitation devient difficile à défaut d’être impossible. Et dans de telle circonstance le plus fort, à défaut d’apprivoiser l’autre, cherche toujours à l’éloigner. Ceci pour éviter les effets de surprise.
Mais comme deux mousquetaires, Alpha et Oury (à une différence de près) ont également en commun, un argument de taille: la chose politique. A la différence que l’opposant exploite judicieusement sa passion.
Ne perdons pas aussi de vu du fait que Bah Oury soit incontestablement l’opposant guinéen qui connait le mieux Alpha Condé. Depuis la France, l’étudiant qu’il était a appris les b.a.ba de la politique auprès de ses grands frères Alpha Condé, feu Pr Alfa Sow et bien d’autres.
C’est pourquoi, à l’avènement de la démocratie dans les années 90 en Afrique en général et en Guinée en particulier, Bah Oury après la lutte sociale n’aura pas du mal à se lancer dans la lutte politique. A cet effet, l’homme a côtoyé plusieurs leaders politiques. Hormis Alpha Condé, il s’est forgé une personnalité auprès de feu Siradiou Diallo et feu Bah Mamadou. Ce dernier sera d’ailleurs le président d’honneur de l’UFDG dont-il est co-fondateur. Les nombreuses décennies de combats politiques passées aux côtés de ses grands frères, ont permis à Bah Oury non seulement de les connaitre mais aussi de se tracer un chemin politique.
Aussi, Bah Oury fait partie du cercle très restreint du commun des mortels qui peut décrypter les discours du président. Un détail qui peut sembler anodin mais qui compte énormément pour les connaisseurs de la chose politique.
Des stratèges politiques
Tout comme le vieux briscard Condé, Bah Oury est-une machine politique qui peut flétrir le cours des événements dans un pays. Fin politicien, l’homme ne fait et ne prend rien au hasard. Un surdoué politique, qui agit par conviction. A l’UFDG il était surnommé « le cerveau » par les militants et sympathisants du parti. Mieux, c’est un véritable génie en termes de conception et de développement de stratégie de mobilisation de masses. Et qui a fait ses preuves par le passé. Jadis membre des forces vives, il a été le président du comité d’organisation de la marche du 28 septembre 2009, qui a connu une forte mobilisation des populations à Conakry.
Et en 2010, il était à la tête de la fronde politique qui a chassé Lounceny Camara de la CENI. Bah Oury paiera les frais de cette manifestation qui n’était pas du goût de la junte militaire dirigée par le général Sékouna Konaté. Car au lendemain de cette manif, il est arrêté à Dixinn à la résidence privée de Cellou Dalein Diallo par la garde rapprochée de Konaté. Mais nous préférons pour l’instant vous épargnez des détails de cette scène à laquelle nous avons assisté.
Revenons-en à nos moutons. Il faut souligner que mieux vaux avoir l’homme dans son camp que de l’avoir contre soi. Bah Oury est un jusqu’au-boutiste prêt contre vents et marées à défendre ses convictions.
Politicien coriace, l’homme est ainsi perçu comme une menace par le vieux routinier de la chose politique. Ses ennuis commencent dès l’aube du régime Condé. En juillet 2011, il est accusé d’être le cerveau du coup d’Etat manqué contre Alpha Condé, contraint à l’exil. A l’issue d’un procès qui a duré sept mois, il est condamné à la perpétuité par contumace pour atteinte à la sûreté de l’Etat.
Exil politique et grâce présidentielle
L’opposant guinéen contraint à l’exil, connaitra une traversée du désert sans précédent. Mais même loin du pays, M.Bah a gardé son pouvoir de nuisance sur le régime Condé dont-il dénonçait sans cesse les dérives autoritaires. Conscient des effets dévastateurs des discours de l’opposant, Alpha est obligé de changer d’approche. Fin octobre 2015, les deux hommes se rencontrent à Paris. Histoire d’enterrer la hache de guerre et d’accorder leur violon.
Huit semaines après, Alpha Condé accorde la grâce présidentielle à 171 personnes dont son plus farouche opposant Bah Oury. Le 24 janvier 2015, après près de 5 ans d’exil forcé, l’opposant fait son retour triomphal au bercail.
Rapprochement raté
Cette grâce présidentielle, loin d’être fortuite, visait à récupérer M.Bah. Les deux hommes se rapprochent dans l’unique but de tirer mutuellement profit. Bah Oury essayera vainement de récupérer l’UFDG en exigeant le départ de Cellou. La situation tournera très rapidement au fiasco. L’opposant, visiblement trop vite aller en besogne, finira par se faire éjecter du parti. La décision de la justice le rétablissant dans ses droits sera de nul effet face à celle de sa destitution prise par son parti.
Fidèle à son ambition, Alpha garde le contact. Et en 2016, il profite pour le nommer membre de la commission nationale de l’éducation guinéenne. Une structure censée réfléchir sur le système éducatif guinéen mais qui ne fera pas long feu. Vraisemblablement, cette amitié de façade était basée sur la duperie. Car la trêve entre les deux hommes sera de courte durée.
Depuis, Bah Oury ‘’ne fait pas de quartier’’ au régime Condé en perte de vitesse. Le nouveau président de l’UDRG (Union des démocrates pour la renaissance de la Guinée) ne manque plus d’occasion pour admonester le pouvoir. Membre du FNDC (Front national pour la défense de la constitution), il affirme son opposition catégorique à un éventuel 3ème mandat d’Alpha Condé.
Avec ses discours très virulent tenus ces derniers temps, l’opposant a certainement provoqué le courroux des actuels dirigeants. C’est le moins qu’on puisse dire. D’autant plus qu’il a échappé une nouvelle fois à une arrestation. Même si le principal concerné tente de banaliser la situation en annonçant son retour au pays dans les semaines à venir. Ce qui est moins sûr, selon des observateurs avertis. La hache de guerre déterrée, l’avenir n’augure rien de bon entre les deux routiniers de la classe politique guinéenne. Ne dit-on pas qu’il n’y a pas pire ennemi que celui qui vous connait le mieux ?
Touraman Keita pour kibanyiguinee.info
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