Ironie du sort, c’est de sa propre bouche que pour la première fois, j’ai entendu prononcer le mot. C’était en 1974, plus précisément le week-end de Pâques, à La Maison du Maroc, Cité Internationale de Paris. Il se tenait là le congrès de l’Association des Etudiants Guinéens de France (AEGF), chapeauté par la FEANF comme le prévoyaient les statuts. Alpha Condé n’était plus président de la fameuse fédération. Mais en bon stalinien, il s’était bien gardé de s’éloigner de son siège où il avait placé un de ses hommes-liges, un Congolais dont le nom m’échappe mais qui se rendra célèbre plus tard en devenant aux côtés de Maître Vergès, un des avocats de Klaus Barbie.
J’étais alors le président de la section grenobloise de l’AEGF. Il y avait des années que les étudiants guinéens n’avaient pas tenu de congrès. Mes camarades et moi avions remué ciel et terre pour corriger cette scandaleuse anomalie : la situation dramatique des étudiants guinéens, la misère et la répression sauvage qui sévissaient dans le pays, autant de sujets brûlants qui méritaient d’être débattus ! Le congrès finit par se tenir après moult tractations mais nous nous rendîmes compte en entrant dans la salle qu’il n’existait même pas une section parisienne de l’AEGF ! C’est quelques minutes avant l’ouverture de la séance qu’Alpha Condé nous en présenta une, tirée de son chapeau ou plutôt de son très précoce et très talentueux sens de la magouille ! Quand je vois cet homme gouverner notre pays, je ne puis m’empêcher de penser à la Maison du Maroc, ce lointain week-end de Pâques. Une Maison du Maroc à l’atmosphère aussi lourde que les couloirs de notre palais présidentiel aujourd’hui : rien que coups bas, rien que conjurations, rien que lourds secrets et ombres furtives !
Mais laissons-là les mœurs inavouables de notre vilain président et revenons au mot qui nous intéresse. Dévoré par la curiosité, je me penchai vers les dictionnaires dès que je sortis de la salle du congrès, ce jour-là.
Satrape :
-au sens historique : gouverneur de province chez les Anciens Perses
-au sens figuré : despote corrompu vivant dans le luxe.
Ce mot était très prisé à la FEANF surtout par Alpha Condé. Pour nous, tous les présidents africains étaient des satrapes parce qu’ils étaient des sortes de gouverneurs envoyés par leurs maîtres-blancs s’occuper de leurs lointaines colonies mais aussi parce qu’ils étaient tous despotiques et corrompus. A l’époque, j’étais loin de m’imaginer qu’en prononçant ce mot, Alpha Condé parlait de lui au futur. Car, aucun Guinéen ne peut en douter, Alpha Condé c’est le parfait satrape au double sens du mot. Au sens historique, c’est un pantin que les multinationales ont propulsé à la tête de la Guinée pour piller nos richesses ; au sens figuré, un despote ultra-corrompu, guetté par la folie du pouvoir.
Regardez pour vous en convaincre les signes extérieurs de richesse du squatteur du palais de Boulbinet et de ses ministres ! Jetez un coup d’œil dans les cellules de nos prisons ! Comptez nos morts: ceux abattus dans les rues et ceux qui ont succombé dans les geôles sous la torture et sous la faim !
Je te pose une question, Alpha : toi qui es sorti sain et sauf du cachot de Lansana Conté, y-a-t-il une seule petite chance pour que tes prisonniers politiques, Foninké Mengué, Ousmane Gaoual et les autres nous reviennent vivants, sans gale et sans égratignure ?
Tierno Monénembo.
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