Transition militaire en Guinée : Le colonel Doumbouya réussira-t-il là où ses prédécesseurs ont échoué ?
La République de Guinée a connu le 5 septembre 2021, un coup d’Etat militaire qui a renversé le régime dictatorial d’Alpha Condé. C’est le troisième coup d’Etat qu’enregistre le pays après les putschs de 1984 et de 2008.
En 1958, la République de Guinée a pris son destin en main et accéda à l’indépendance. 63 ans après, ses élites peinent encore à construire un Etat démocratique solide et stable. A cause de la mauvaise gestion de ses différents dirigeants qui se sont succédé au pouvoir, le pays ne voit toujours pas le bout du tunnel. Une situation qui pousse souvent la grande muette à sortir de son silence pour intervenir afin de restaurer l’ordre et rendre au peuple sa liberté.
Cependant, en jetant un regard sur le passé l’on se rend compte que les coups d’Etat n’ont jamais réussi à changer le destin du pays. Les vielles habitudes refont toujours surface après, au grand dam de la population assoiffée de changement.
Prenons le premier coup d’Etat. Il intervient le 3 avril 1984 suite à la disparition du premier président guinéen, Ahmed Sékou Touré après 26 ans de règne totalitaire.
A travers le CMRN-Comité militaire pour le redressement national- l’armée prend le pouvoir et annonce la « liberté » pour tous. Le colonel Lansana Conté, étant l’officier le plus gradé d’alors, est choisi par ses pairs pour diriger les destinées du pays.
Le peuple tout entier s’enthousiasma de la chute du régime ‘’Sékoutouréen’’ et du changement prôné par la junte.
Le vent en poupe, les nouvelles autorités prennent alors la situation en main. Elles décident de faire table rase sur le passé et avec l’aide de l’élite, de tout reprendre à Zéro. Il sera question de construire un Etat nouveau avec des nouvelles orientations. Les fondements de l’Etat sont crées à travers le discours programme du 22 décembre 1985, qui fixe ses grands axes.
Mais après 24 ans de règne sans partage, c’est la déception totale. Le pays vit à vase clos. L’Etat est dirigé par des clans rivaux qui entretiennent un système qui broie tout sur son passage : le koudéisme (ou le pouvoir à vie). Un système qui résistera face à toutes les péripéties.
Pris en otage, le peuple se sent trahi et abandonné. La population désemparée tire le diable par la queue. Très résignée, elle laisse son sort à Dieu.
Et puisque tout fini par finir, le régime fini par s’écrouler suite à la disparition de Lansana Conté le 22 décembre 2008. Accueilli en ‘’libérateur’’ le 3 avril 84, le vaillant soldat mourut, laissant derrière lui, un peuple désorienté et un Etat sans fondements.
C’est dans ces circonstances qu’intervient le deuxième coup d’Etat militaire. Des jeunes militaires surexcités et sans expériences, conduits par un capitaine de l’armée de terre, Moussa Dadis Camara, s’emparent du pouvoir. Tout comme leurs ainés de ‘’84’’, ils sont accueillis dans la même ferveur. A nouveau, le peuple sauta, chanta et dansa : « vive la liberté !», « vive la liberté ! »
Réunis au sein d’une structure appelée CNDD-Conseil national pour la démocratie et le développement, les nouvelles autorités militaires promettent ‘’Monts et Merveilles’’ au peuple résigné de Guinée.
Contrairement au CMRN, le CNDD connaitra une transition courte et dirigée en deux temps.
D’abord avec le capitaine Moussa Dadis Camara. Fougueux et impulsif, il gagne tout de suite le cœur des guinéens à travers ses discours révolutionnaires et son franc parlé. A l’international, il est perçu comme le Sankara guinéen. Il s’installe dans son QG du camp Alpha Yaya Diallo, le plus grand du pays, pour diriger. Un gouvernement civilo-militaire et un CNT-Conseil national de transition sont mis en place. Il promet d’organiser dans un bref délai des élections inclusives et auxquelles aucun membre du CNDD ne doit prendre part.
Toutefois, après avoir gouté aux délices du pouvoir, le jeune président laisse entrevoir des velléités de vouloir se cramponner. Son parjure conduira le pays au bord du chao. Car le 28 septembre 2009, au stade du même nom, des centaines d’opposants sont violemment réprimés dans le sang. Cette répression qualifiée de crime contre l’humanité fera au moins 150 morts et de centaines de filles et femmes violées et violentées.
Sa transition sera écourtée le 3 décembre 2009, lorsqu’il tentera de faire arrêter son aide de camp, Aboubacar Sidiki Diakité alias ‘’Toumba’’ dont-il accusait être le responsable des tueries. Ce dernier lui tirera une balle dans la tête qui a failli lui coûter la vie. Il sera transporté d’urgence par un avion médicalisé au Maroc où il a pu être sauvé. Conduit après au Burkina Faso pour sa convalescence, il y vit depuis.
Il est remplacé à la tête du pays par le n°2 du CNDD, le général Sékouba Konaté. Un nouveau gouvernement d’union nationale foncièrement politique est mis en place. En novembre 2010, la première élection présidentielle démocratique est organisée, au sortir de laquelle le Pr Alpha Condé est élu président après plus de 40 ans de combat politique.
Leader charismatique et opposant historique, Alpha Condé suscitera beaucoup d’espoir chez les guinéens. Le peuple n’avait plus à douter que ses prières ont été exaucées. L’élu est propre et exempt de tout soupçon car, n’ayant jamais accepté de s’associer à une quelconque gestion publique. Il promet la « rupture » et de bâtir une société nouvelle pour un Etat de droit et démocratique.
Sauf que là aussi, la liesse populaire sera de courte durée. Il a fallut peu de temps pour s’en rendre compte. L’homme n’est pas ce qu’il prétend incarner. Au fil des ans, son masque tombe et laisse transparaitre son vrai visage.
Dix ans durant, le pays sera l’otage d’une bande de copains qui remet tout en cause. Les acquis démocratiques et les lois de la république sont bafouillés. Le fameux projet de troisième mandat voit le jour.
La clique du vieux use des moyens les plus inhumains pour faire taire toute voix dissonante. Comme une meute de loups affamés aux dents acérées, ils oppriment, terrorisent et martyrisent les opposants. Les moyens chanceux sont jetés en prison et au pire des cas éliminés.
N’ayant plus de voies de recours, le peuple se trouve acculer jusque dans son dernier retranchement. Contre son gré, il accepte alors son sort et laisse son âme au diable.
C’est donc à la surprise générale que les forces spéciales guinéennes-FSG- ont pris leur « responsabilité » pour voler au secours du peuple anéanti et meurtri. Ainsi dans la matinée du 5 septembre 2021, la Guinée enregistre son troisième coup d’Etat militaire. Le colonel Mamady Doumbouya à la tête du CNRD-Comité national pour le rassemblement et le développement- met main sur Alpha Condé rentré quelques jours plutôt de vacances. L’image de sa capture est publiée sur la toile qui fait rapidement le tour du monde.
Les premiers mots du chef de la junte à la télévision nationale sont rassurants. Hormis la dissolution du gouvernement et des institutions de la république, la suspension de la constitution, le colonel Mamady Doumbouya dénonce les tares du pouvoir caractérisé par la « personnalisation de l’Etat ». Il promet une « constitution adaptée à la réalité des guinéens » et la mise en place d’ « institutions fortes ».
Les rues de Conakry sont immédiatement envahies par une foule en liesse qui manifeste sa joie suite à la chute du régime fanatique d’Alpha Condé. Considérés, il y a quelques temps, comme des bourreaux à la solde d’un régime dictatorial, les putschistes sont applaudis et accueillis en sauveurs.
Cependant, le colonel Doumbouya réussira-t-il là où ses prédécesseurs ont échoué ? C’est une question qui occupe aujourd’hui l’esprit de bon nombre d’observateurs. Et les analyses ne manquent pas sur le sujet.
Néanmoins, il faut souligner que contrairement à ses prédécesseurs, le chef de la junte a adopté une nouvelle approche. Depuis sa prise du pouvoir, il multiplie les actions pour légitimer son putsch. A cet effet, il a surtout initié et lancé le 14 septembre dernier, les concertations nationales qui se tiennent présentement à Conakry avec toutes les forces vives de la nation. Une opération de séduction dont-il semble bien avoir la maitrise pour l’instant. Acteurs politiques et sociaux, religieux, avocats, hommes de médias, magistrats, médecins, banquiers, diplomatiques, entrepreneurs…sont reçus à tour de rôle par le chef de la junte.
« Nous devons éviter les erreurs du passé », a-t-il mentionné dans son premier discours. Car, selon lui, si les guinéens en sommes encore là, c’est parce que les mêmes erreurs se répètent. C’est pourquoi, « nous devons tout reprendre à zéro », a-t-il ajouté. Avant de marteler : « la justice sera la boussole qui orientera chaque citoyen ».
Et pour y arriver, le chef de la junte s’est fixé des objectifs qu’il a appelé « les 5 valeurs du CNRD ». Il s’agit de la Rectification institutionnelle, la Refondation de l’Etat, le Rassemblement, le Redressement et le Repositionnement. Raison pour laquelle, le CNRD accorderait une importance capitale aux concertations nationales afin d’écouter tous les guinéens et de leur faire part de leur mission dont la durée reste encore à déterminer.
Même si à cette allure, toute porte à croire que la junte ne semble pas être pressée. Elle l’a d’ailleurs fait savoir à la communauté internationale qui demande une transition de six mois. « Nous ne céderons à aucune pression », a souligné son chef à la CEDEAO dont les sanctions contre les membres du CNRD ne lui ferait ni chaud ni froid.
Avec l’adhésion populaire dont-il bénéficie auprès des guinéens, le nouveau patron de sékoutouréya, estime que « c’est la dernière chance » pour la Guinée de s’en sortir. Cet avis du colonel est partagé par l’écrasante majorité de la population.
Ce soutien populaire suffira-t-il à la junte pour réussir la transition ? Le CNRD a-t-il besoin de suffisamment de temps ? Faut-il se conformer au délai de la CEDEAO ? Qu’est ce qu’il faut pour éviter de revenir à la case départ ? Voilà tant de questions qui méritent des réponses.
Samory Keita pour kibanyiguinee.info
Tél : 655 27 13 18
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