C’est au nom de l’éthique que Ousmane Gaoual Diallo et le CNRD veulent justifier l’ordre intimé aux anciens Premiers ministres Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré de libérer leurs domiciles. Mais pour que l’éthique ne devienne pas un mot-valise qu’il serait facile de convoquer pour justifier tout et n’importe quoi, il importe de savoir ce qu’est l’éthique et comment juger éthiquement les cas de récupération des biens de l’État ?
L’éthique
L’éthique ne consiste pas à appliquer une norme, un principe ou une règle ; c’est au contraire une réflexion sur l’agir humain qui tient compte du contexte, du timing et des finalités de l’action. Telle que la notion apparaît dans les travaux académiques, l’éthique est une démarche intellectuelle qui requiert une bonne compréhension des situations, un savoir précis et des méthodes de raisonnement.
En un mot, l’éthique peut être comprise comme une réflexion sur les manières d’appliquer nos obligations morales et juridiques. Cette exigence de réflexion conduit les spécialistes à établir une nuance très importante entre MORALE et l’ÉTHIQUE. Certains même vont jusqu’à dire que l’ÉTHIQUE est une RÉFLEXION sur la morale. Une morale sans éthique est aveugle, et une éthique sans morale est vide.
Derrière le terme éthique, il y a donc l’exigence d’un jugement critique qui questionne les manières de faire, les procédures et leur justification, l’objectif étant que l’action vise le bien. Et lorsqu’il s’agit d’actions qui touchent à la vie publique, la décision éthique est le fruit d’un Comité ou d’un conseil d’éthique, où les raisonnements et les points de vue sont confrontés dans le respect et dans la réciprocité- du moins si on veut éviter la violence, l’arbitraire et la domination. Enfin, la vocation de l’éthique n’est pas de condamner ou de punir, elle relève en grande partie de l’avis qui ne peut substituer au travail du droit.
Ousmane Gaoual, le CNRD et l’éthique
En ce qui concerne la récupération des biens de l’État en lien avec les deux anciens Premiers ministres, le CNRD se fonde sur un argument de principe : il faut récupérer les biens de l’État. Mais, d’un point de vue de l’éthique, la seule adhésion à ce principe normatif ne peut pas justifier l’ordre de libérer un domaine qui appartient à l’État.
Il faudrait au préalable préciser les contours du concept de « bien de l’État », le statut du bien considéré, les conditions dans lesquelles les particuliers se sont appropriés les biens de l’État, le rôle joué ou non par l’État dans la vente de ses biens, le statut particulier des acquéreurs et leur lien avec l’État au moment de l’acquisition, la crédibilité et la fiabilité des preuves fournies par chaque partie. Ces considérations constituent la matière de la réflexion qui aura pour objectif de fournir un avis sur le cas examiné. On voit donc que le jugement éthique est le produit d’une exigeante démarche rationnelle qui tient à distance toute tendance arbitraire.
Le CNRD et le Patrimoine bâti public ont-ils sollicité un avis éthique sur les cas de récupération des biens de l’État, en particulier ceux qui visent les leaders de l’UFDG et de l’UFR ? À en croire Amara Camara, c’est non. Autrement dit, ils ont fondé leur action sur un principe sans prendre en compte sa justification et les conditions de son application. Or, en évacuant la dimension de la réflexion, celui du jugement critique, ils ont oublié qu’un principe peut être bon en théorie, mais que, appliqué en dehors de toute réflexion pratique, il peut entrainer des injustices et des préjudices.
Pour que la justice soit une boussole, la rationalité et le sens critique doivent être ses aiguilles magnétisées. Une justice non réfléchie, qui ne passe pas les tests de l’examen et de critique, conduit au seuil de la tyrannie. L’éthique peut être aussi tyrannique. C’est précisément ce retournement de l’éthique contre l’éthique qu’il nous faut éviter en privilégiant des pratiques délibératives et le jeu de la transparence.
Toutefois, lorsque Ousmane Gaoual Diallo dit que les cas Cellou et Sidya présentent un problème éthique, il n’a pas tort. En effet, on peut se demander jusqu’où ils n’ont pas profité de leur position d’autorité à l’époque pour bénéficier d’un traitement préférentiel. Clairement, ils étaient en tant qu’agents de l’État dans un conflit d’intérêts de nature éthique : il représente au plus haut niveau l’État tout en acceptant de se procurer un bien de l’État ; de par leur position privilégiée, ils pouvaient influencer la décision de vente en leur faveur. Mais même s’il était avéré qu’ils aient bénéficié d’un traitement favorable et préférentiel, ils pourraient être seulement blâmés.
Tout d’abord, l’État, à travers le président Conté et les agents du Pâtrimoine bâti, a consenti légalement à la cessation et au transfert des domaines à usage d’habitation (selon les preuves fournies par Cellou Dalein Diallo et les affirmations de Sidya Touré). De même, le préjudice porté à l’intérêt public pourrait être marginal si les personnes visées venaient à prouver que l’argent qui a servi à s’approprier ces domaines de l’État n’est pas l’argent public, et que des pratiques de corruption ou de trafic d’influence n’ont pas accompagné l’acquisition des domaines par les deux anciens Premiers ministres. Cela pour dire que le blâme du point de vue éthique ne justifie pas et ne peut pas justifier, sans autres éléments crédibles et fiables, l’ordre de libérer des biens que l’État avait consenti, de plein gré, à vendre.
En l’état actuel des arguments fournis, c’est le CNRD qui fait entorse à l’éthique ( au droit, aussi), bien qu’il soit justifié de récupérer les biens de l’État. Ainsi, au nom même de l’intérêt public, de la cohésion sociale et du respect de la dignité des personnes, que Amara Camara et Ousmane Gaoual Diallo mettent en place un comité d’éthique chargé d’examiner les dossiers au cas par cas.
Les déclarations péremptoires, basées sur la force des armes et le mépris du droit, ne sont qu’une étape de plus vers un basculement dans la haine et la violence. Enfin, si on jugeait le CRNRD du point de l’éthique, on ne manquerait pas de soulever de graves conflits éthiques (nomination de Dansa Kourouma à la tête du CNT, entre autres) et des écarts importants (restitution des cases de Bellevue et rebaptisation de l’aéroport) qui mettent en cause l’intérêt public et surtout l’objectif souhaité de rectification institutionnelle.
Travaillons donc à aménager de nouveaux airs de solidarité capables de favoriser le dialogue indispensable à la construction d’une Guinée juste et démocratique. Mieux, apprenons à négocier nos désirs et nos intérêts pour ne pas que l’éthique du pus fort ait force de droit, et donc que l’espace public ne se transforme pas en un salon privé où la volonté individuelle dicte la loi.
Amadou Sadjo Barry
Professeur de philosophie
Cégep de Saint-Hyacinthe
Chercheur en éthique des relations internationales
Chercheur associé
Québec, Canada
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